Le savant Ibn Rajab al-Hanbalī, connu pour son célèbre commentaire des quarante ahadīth d’an-Nawāwī (Arba’in an-Nawāwī), a écrit : « La meilleure aumône est d’enseigner à un ignorant ou de réveiller un insouciant. »[1] Ayant un avis très proche, le savant Abū ‘Umeyr at-Tūrī Ibn Suleym a dit : « Une parole de sagesse que tu transmets à ton frère est meilleure qu’une fortune dont tu lui fais don. Car l’argent que tu donnes à ton frère risque de le rendre arrogant tandis que la parole que tu lui transmets peut être pour lui une source de guidance. »[2]
Enseigner à celui qui ne sait pas est similaire à réveiller l’insouciant. La connaissance développant et nourrissant la conscience chez l’humain, tout insouciant ne peut être tiré de son état d’insouciance que par l’accès au savoir. Partager une connaissance est parfois plus productif que partager un bien car comme dit l’adage attribué au philosophe chinois Lao Tseu (m. 490 av. J.-C.) : « Si tu donnes un poisson à un homme, il mangera un jour. Si tu lui apprends à pêcher, il mangera toujours. »
Cette haute estime de la science et de l’enseignement n’est pas étrangère à l’islam. Pour l’illustrer il suffit de rappeler que le principal miracle de notre Prophète (ﷺ) est d’avoir amené Al-Kitāb (Le Livre) : le Noble Coran. Contrairement à de nombreux autres Prophètes qui ont fait des miracles que l’on pourrait qualifier de visuellement spectaculaires, notre Prophète bien-aimé (ﷺ), qui était pourtant illettré, a reçu la révélation du dernier des Livres. Puis, une des premières choses qu’il a entreprise, alors que les musulmans étaient persécutés et qu’il n’y avait pas encore de stabilité au sein de la communauté musulmane naissante, a été de régulièrement rassembler ses membres dans Dār al-Arqām afin d’y transmettre son enseignement. Il a ainsi, dès le début de la prophétie, insisté sur la transmission du savoir et l’éducation islamique.
Le savant Al-Barbārī a dit dans un de ses poèmes : « La science donne la vie au cœur comme lorsque la pluie donne la vie à la terre. »[3] Par cela, il voulait exprimer qu’un cœur aride de science est comme une terre asséchée dans laquelle il est difficile de faire pousser toutes sortes de bonnes choses, comme des fruits et des fleurs.
Terminons cette partie de cette série d’articles dédiés à l’obligation de la quête de connaissance par l’analyse d’une recommandation de l’Envoyé d’Allāh (ﷺ) relative au rapport que doit entretenir le croyant avec le savoir : « Soyez de ceux qui enseignent ou de ceux qui apprennent, de ceux qui écoutent ou de ceux qui aiment la connaissance. Si vous ne faites pas partie de ces groupes, vous allez droit à la destruction ! »[4] Ce hadīth porte à supposer que la relation recommandée envers le savoir peut être divisée en quatre niveaux, le plus haut degré consistant à enseigner le savoir, c’est à dire à partager les sciences avec les autres. Cette position honorifique de l’enseignant est corroborée par le verset : {Parmi les serviteurs de Dieu, seuls les savants Le craignent (comme il se devrait).}.[5] Les savants enseignent à la masse et forment aussi parmi-eux de futurs enseignants (qui continueront à transmettre le savoir de génération en génération), et s’ils sont symboliquement considérés comme les héritiers des Prophètes, ils portent également un terrible poids pouvant se retourner contre eux au jour du jugement dernier.[6]
Le deuxième degré consiste à rechercher le savoir et à l’étudier. En réalité, ceux qui atteignent le premier degré ne peuvent délaisser le deuxième. En effet, s’ils le faisaient, ils se perdraient inéluctablement dans une relation réprouvée au savoir ne correspondant plus aux quatre degrés définis dans le hadīth. L’humilité du véritable savant ou professeur fera qu’il se place volontiers au second degré ; alors que l’orgueil du mauvais étudiant le poussera à croire qu’il est digne de se positionner et de stagner au premier.
L’écoute de la science constitue le troisième degré. Contrairement à l’étudiant qui va à la quête de la science, celui-ci l’accepte volontiers mais préférablement lorsqu’elle vient à lui. Pourtant, il se peut qu’il soit réellement attiré par elle, qu’il s’en approche même à certaines occasions, sans pour autant avoir la détermination suffisante pour cheminer durablement ou définitivement jusqu’à elle. Précisons qu’il peut bien évidemment exister entre ces degrés une infinité de niveaux intermédiaires répondant aux spécificités de tout un chacun.
Le dernier degré, quatrième de la liste, consiste à aimer le savoir, la connaissance et la science. Cet amour peut être passif mais doit être réel et sincère. L’amour pour la science est propre aux quatre degrés et n’est pas une spécificité propre à celui-ci mais bien plus, il est une caractéristique qui devrait être commune à l’entièreté des croyants. Ce dernier degré, profondément caché et interne au cœur, n’est pas sans rappeler le hadīth concernant la réaction du croyant qui, confronté à une injustice, doit tenter de la corriger par les actes ou les paroles, et si ceci ne lui est pas possible, le plus faible degré de la foi consiste à au moins réprouver l’acte avec le cœur.[7] L’amour de la science est nécessaire au croyant, au risque d’aller droit à la destruction. Cet amour totalement oisif et vide de la connaissance étant le seuil minimum avant l’écroulement ne peut être préconisé, mais doit plutôt constituer une limite à ne jamais dépasser.
La recherche de la science est une obligation pour tout croyant et al-ādab (le bon comportement) du musulman doit l’inciter à s’instruire ainsi qu’à croître intellectuellement, afin de stationner au moins entre les deux premiers degrés – sans toutefois le contraindre à atteindre les statuts d’étudiant actif ou d’enseignant[8]. Si tout le monde ne doit pas aspirer à être savant, chacun doit, en fonction de ses capacités, aspirer au savoir.
[1] Ar-Rasā’il [1/186]. Bien que considéré comme da’if (faible), il existe un hadīth très semblable à la parole d’Ibn Rajāb al-Hanbalī : « La meilleure aumône consiste pour un musulman aillant acquis la connaissance de l’enseigner alors à son frère musulman. » Sunan Ibn Majāh [250].
[2] Hassan Amdouni, Ibidem.
[3] Hassan Amdouni, Ibidem.
[4] Haythamī, op. cit., vol. 1, p. 122 in Gülcür Musa Kazim, De la perfection de la personnalité, un guide complet des bonnes manières et des qualités morales en islam, Izmir, Éditions du Nil, 2009, p. 29.
[5] Coran, 35 : 28.
[6] L’ostentation a été qualifiée par le Prophète de polythéisme mineur. Le Prophète a mis en garde sa communauté contre cette calamité à travers différents conseils et récits. Abū Hurayra rapporte une tradition du Prophète concernant les trois premières personnes à être jetées au Feu, en deuxième lieu se trouve l’enseignant en sciences religieuses qui s’est éloigné de l’objectif de la satisfaction divine. « […] Un autre sera un homme qui a étudié la science religieuse puis l’a enseignée et qui récitait le Coran. On l’emmènera et Dieu lui fera voir les faveurs qu’Il lui a accordées et cet homme les reconnaîtra. Le Tout-Puissant dira : « Comment en as-tu usé ? » Il dira : « J’ai étudié la science religieuse, je l’ai enseignée et j’ai récité le Coran pour Toi. » Dieu lui dira : « Tu mens ! Tu n’as étudié que pour qu’il soit dit à ton sujet : « il est savant » et tu n’as récité le Coran que pour qu’on dise à ton sujet : « C’est un récitateur » et c’est ce qu’on a dit. » Alors, il sera ordonné aux anges de le faire traîner par le visage jusqu’à ce qu’il soit jeté en Enfer. […] » Al-Mundhirī, At-targhīb wa tarhīb, Livre de la sincérité, chapitre de la menace de l’ostentation, hadīth n° 22.
[7] Abū Sa’īd al-Khudrī rapporte qu’il a entendu le Messager d’Allāh (ﷺ) dire : « Que celui d’entre vous qui voit une chose répréhensible la corrige de sa main! S’il ne le peut pas de sa main, qu’il la corrige avec sa langue! S’il ne le peut avec sa langue, que ce soit avec son cœur et c’est là le degré le plus faible de la foi. » Sahīh Mūslim [49(a)].
[8] Ces deux stades faisant quant à eux partie des fard kifāya (obligations communautaires) et non des fard ‘ayn (les obligations propres à chaque croyant). À ce sujet, Abd al–Barr al-Andalūsī dans son Jâmi’ bayān al-‘ilm wa fadlihi démontre les mérites du savoir et détermine la science qui est obligatoire à tout musulman. Hassan Amdouni, Ibidem.